Association des Sénats d'Europe

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Réunion à Paris, le mercredi 6 juin 2001
 
Les Sénats et la représentation des collectivités locales


COMPTE-RENDUS DES DEBATS

- Version texte

M. Christian Poncelet, Président du Sénat de la République française :

Comme vous le savez, nous avons choisi de consacrer nos travaux au thème de la représentation des collectivités locales par nos Assemblées.

Ce thème est, en effet, au cœur de la légitimité institutionnelle et politique de nos assemblées et se trouve, au-delà de la diversité des deuxièmes chambres, au centre des fonctions que remplissent, ensemble, les Sénats.

Loin de s’apparenter à une « anomalie », le Sénat français présente la particularité féconde d’être une assemblée parlementaire à part entière qui exerce, en outre, – c’est un enrichissement, un bonus constitutionnel –, une fonction de représentation des collectivités territoriales.

Assemblée parlementaire à part entière, le Sénat assume, à égalité avec l’Assemblée nationale, son métier de législateur et sa fonction de contrôleur dans le cadre d’un bicamérisme qui est égalitaire tant que le gouvernement n’en décide pas autrement.

Au-delà de ce rôle d’assemblée parlementaire à part entière, le Sénat a été investi par l’article 24 de la Constitution d’un rôle de représentant des collectivités territoriales. Émanation des collectivités territoriales, le Sénat est donc très logiquement devenu le défenseur, naturel et privilégié, des pouvoirs locaux.

Dans un premier temps, je serai donc conduit à vous démontrer que le mode d’élection des Sénateurs, qui comporte une triple originalité, fait de notre assemblée l’émanation des collectivités territoriales.

Première originalité : l’immense majorité des sénateurs est élue dans le cadre du département, ce « fils spirituel » de la Révolution française, qui participe de « l’exception française » puisqu’il institue un échelon intermédiaire entre le traditionnel niveau communal et le niveau régional en devenir.

C’est ainsi que sur les 321 membres du Sénat, 304 sont élus dans le cadre des départements métropolitains et d’outre-mer, 3 dans les territoires d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna), et 2 dans les collectivités territoriales à statut particulier (Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon). En outre, les Français établis hors de France, qui sont 2 millions, désignent, par le truchement de leurs délégués, 12 sénateurs.

Deuxième originalité, les sénateurs sont élus par des élus.

En effet, les sénateurs sont élus, dans chaque département, par un collège électoral issu du suffrage universel direct, et composé des députés du département, des conseillers régionaux élus dans le département, des conseillers généraux du département et, surtout, des représentants des conseils municipaux, dont le nombre varie en fonction de l’importance de la population des communes concernées.

En définitive, le collège électoral des sénateurs, dont l’effectif total s’élève à environ 145.000 grands électeurs, est composé pour près de 96 % par des délégués des communes, ces « cellules de base de la démocratie ».

A l’évidence, par son mode d’élection, le Sénat « baigne » dans les collectivités locales comme un poisson dans l’eau.

Enfin, troisième et dernière originalité du mode d’élection des sénateurs : la dualité du mode de scrutin. Les sénateurs sont, en effet, désignés selon le nombre de sièges de chaque département, au scrutin majoritaire, dans les petits départements qui disposent d’un ou de deux sièges de sénateurs et, au delà, à la représentation proportionnelle.

Il en résulte que 70 % des sénateurs sont élus à la proportionnelle, ce qui, avec l’effet combiné de la parité alternée, devrait faire cesser les querelles en représentativité et donc les procès en légitimité parfois instruits, ça et là, à l’encontre du Sénat.

Toutefois, force est néanmoins de reconnaître que le mode d’élection des sénateurs se traduit par une sur-représentation de la France rurale au détriment de la France des villes.

Ce déséquilibre se manifeste : d’une part, par une sur-représentation des petites communes rurales au sein du collège électoral des sénateurs et, d’autre part, par une répartition des sièges de sénateurs entre les départements qui, en raison de l’absence de « révision démographique » depuis 1976, désavantage les « départements urbains » dont la population a augmenté.

S’agissant tout d’abord de la représentation des communes au sein du collège électoral des sénateurs, force est de constater que dans une commune de 1.000 habitants, un électeur sénatorial représente 333 habitants alors qu’il représente 950 habitants à Paris.

Autre illustration de cette sur-représentation rurale : les 33.000 communes de moins de 2.500 habitants sont représentées par 45 % des délégués communaux au sein du collège électoral des sénateurs alors qu’elles n’abritent que 30 % de la population.

Il faut à l’évidence corriger cette situation et renforcer le poids du milieu urbain, mais sans brader la représentation des petites et moyennes villes qui assurent un maillage économique, social et humain de notre territoire.

Toutefois, la voie qui s’ouvre à cette indispensable réforme est étroite, depuis la décision du Conseil Constitutionnel du 6 juillet 2000 qui a censuré la loi dont l’objet était de supprimer le lien établi entre l’effectif du conseil municipal d’une commune et le nombre de ses délégués sénatoriaux pour lui substituer une clé démographique unique : un électeur sénatorial pour 300 habitants.

Dans cette décision, très importante, le Conseil Constitutionnel, après avoir réaffirmé, de manière éclatante, que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République », a fait découler de ce principe deux conséquences claires, logiques et incontournables :

– la première est que « toutes les catégories de collectivités territoriales » doivent être représentées dans le corps électoral du Sénat qui doit « refléter leur diversité » ;

– la seconde est que les membres du corps électoral des sénateurs « doivent émaner » des collectivités locales et que, « par suite, ce corps électoral doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales » et non de délégués supplémentaires choisis en dehors du conseil municipal.

La participation de ces derniers au collège électoral doit conserver un caractère de simple correctif démographique.

Dans ces conditions, la seule réforme possible pour renforcer le poids des villes dans le collège électoral des sénateurs, « sans déshabiller Pierre pour habiller Paul », c’est-à-dire sans diminuer la représentation des petites et moyennes communes, semble résider dans la proposition que le Sénat avait faite en 1999 comme contre-projet au texte du Gouvernement.

Il s’agissait de figer la situation actuelle pour les communes de moins de 9.000 habitants et, au-delà de ce seuil démographique, de prévoir qu’en plus des conseillers municipaux, électeurs sénatoriaux de droit, seraient désignés des délégués supplémentaires à raison de 1 pour 700 habitants.

Sans doute faudrait-il porter cette tranche démographique de 700 à 1.000 habitants pour ne pas encourir les foudres du Conseil Constitutionnel que ne manquerait pas de provoquer une proportion trop importante de délégués sénatoriaux non élus locaux.

Quant à la répartition des sièges de sénateurs entre les départements, elle ne reflète qu’imparfaitement l’évolution démographique de la France et accorde, de ce fait, une certaine prime aux départements les moins peuplés, c’est-à-dire aux départements ruraux.

Cette situation résulte de la non application depuis 1976, de la clé de répartition, consacrée en 1948, qui prévoit que chaque département dispose d’un siège de sénateur pour 150.000 habitants et, au-delà de ce seuil, d’un siège supplémentaire part tranche de 250.000 habitants ou fraction de ce nombre.

A cet égard, force est de constater que le département de la Creuse dispose de deux sièges de sénateurs pour 124.500 habitants, soit un siège pour 62.250 habitants, tandis que le Var n’en possède que trois pour près de 900.000 habitants, soit un siège pour 300.000 habitants.

Pour remédier à ce déséquilibre qui avantage les départements les moins peuplés, c’est à dire les « départements ruraux », deux solutions sont envisageables :

– la première solution, qui relèverait d’une loi organique, consiste à augmenter le nombre de sièges pour limiter l’impact de cette nouvelle répartition, en termes de perte de sièges, dans les départements dont la population a relativement, ou dans l’absolu, diminué. Le Sénat a préféré écarter cette solution, considérant que l’opinion publique n’était pas encline à accepter une augmentation du nombre de parlementaires.

– la seconde solution, qui relève d’une simple loi ordinaire, implique, quant à elle, une nouvelle répartition des sièges entre les départements à effectif constant, laissant ainsi jouer sans aucun « amortisseur », la redistribution des sièges entre les départements.

Sur l’ensemble de ces sujets, il appartiendra au Sénat de se déterminer et d’engager, lui même, des évolutions permettant de répondre à ces déséquilibres.

Expression des territoires, émanation des collectivités locales, c’est donc presque tout naturellement que le Sénat français est devenu – et c’est le second et dernier temps de mon propos – le défenseur des collectivités locales.

« Grand Conseil des communes de France », pour reprendre l’expression utilisée par Gambetta dans son discours de Belleville, en 1875, le Sénat a en effet été renforcé par la décentralisation dans son rôle de défenseur des collectivités territoriales dont il s’acquitte de deux manières.

En premier lieu, le Sénat s’est érigé en protecteur de l’autonomie locale, tant dans ses activités de législateur que dans sa mission de contrôleur.

C’est ainsi que le Sénat s’est progressivement doté pour l’examen des textes relatifs aux collectivités locales, d’un corps de doctrine qui transcende largement les clivages politiques.

Fondamentalement celui-ci consiste en une promotion et une défense de l’autonomie locale, qui doit reposer sur des élus disposant d’un véritable statut et des collectivités locales possédant les moyens de mettre en œuvre les politiques décidées par leurs assemblées délibérantes.

Par ailleurs, dans sa mission de contrôleur, le Sénat tend à devenir le veilleur et le gardien vigilant de la décentralisation qu’il considère comme une réforme bénéfique dans la mesure où elle libère les initiatives et les énergies locales, constitue un facteur d’efficience de l’action publique et contribue à l’essor de la démocratie de proximité.

Bien plus, le Sénat estime que cette réforme est inachevée et une mission sénatoriale d’information a formulé récemment des propositions précises pour « l’Acte II de la décentralisation ».

Sans doute faudrait-il aller plus loin dans ce rôle d’aiguillon du Gouvernement, en créant, au sein du Sénat, un observatoire permanent de la décentralisation qui pourrait établir, chaque année, un rapport sur l’état de la décentralisation et de l’aménagement du territoire.

En second lieu, le Sénat s’emploie, depuis deux ans et demi, à devenir la Maison des collectivités locales.

Cette quête de la proximité se traduit, tout d’abord, par l’organisation des Etats généraux des élus locaux que je tiens dans chaque région.

Ces Etats généraux, dont la prochaine édition aura lieu à Marseille, le 15 juin, portent sur des thèmes précis comme la sécurité juridique, l’intercommunalité, les finances, l’eau... Ils sont préparés par l’envoi préalable d’un questionnaire pour mieux prendre le pouls des élus locaux et la mesure de leurs préoccupations.

Loin d’être des « grands-messes républicaines » sans lendemain, ces Etats généraux ont vocation à déboucher sur des réponses législatives.

C’est ainsi que les Etats généraux de Lille, en septembre 1999, sont à l’origine de la loi Fauchon du 10 juillet 2000 sur la responsabilité des décideurs publics et privés en matière de délits non intentionnels.

De même les Etats généraux ont nourri une proposition de loi, adoptée récemment par le Sénat, dont l’objet est de conférer aux élus locaux un statut enfin digne de ce nom.

Troisième illustration de cette démarche, l’adoption par le Sénat de la proposition de loi constitutionnelle, que j’ai cosignée avec les sénateurs présidents des principales associations d’élus locaux et le président du comité des finances locales, relative à la libre administration des collectivités locales et à leur autonomie fiscale et financière.

A cette occasion, nous avons proposé de reconnaître au Sénat des pouvoirs spécifiques vis-à-vis des textes relatifs aux collectivités locales et, plus précisément, d’instituer dans ce domaine un bicamérisme égalitaire.

Mais qu’on ne s’y méprenne pas ! Il ne s’agit pas d’amputer le Sénat de sa dimension d’assemblée parlementaire à part entière et de le cantonner dans un rôle de chambre spécialisée dans les affaires locales pour en faire une sorte de « Bundesrat à la française », selon l’expression de Michel Rocard.

Au contraire, il s’agit de préserver ce rôle d’assemblée parlementaire tout en permettant au Sénat de vivre pleinement son bonus constitutionnel de représentant des collectivités territoriales.

Par ailleurs, le Sénat met en œuvre, depuis 1998, une politique volontariste de services offerts aux collectivités locales avec la création, au sein du Sénat, du service des collectivités territoriales, l’ouverture d’un site Internet dédié aux élus locaux (« Carrefour des collectivités locales ») et, enfin, la mise à la disposition des collectivités locales de l’antenne sénatoriale de Bruxelles pour les aider à accéder aux fonds structurels européens.

Le symbole éclatant de cette proximité retrouvée avec les élus locaux a été, sans conteste, la Fête de la Fédération, ou plutôt la Fête des Maires, du 14 juillet 2000, qui a réuni autour des sénateurs, sur les Champs Elysées puis dans les jardins du Sénat, 13.000 maires ceints de leur écharpe tricolore.

A l’évidence, nos Sénats qui procèdent pour la plupart, d’une façon ou d’une autre, des collectivités locales, doivent cultiver cette spécificité qui fait leur force. Telle est certainement ma volonté pour le Sénat français.

A cet égard, je profite de notre rencontre pour prendre solennellement l’engagement d’amener la France à ratifier la Charte européenne de l’autonomie locale qui, comme vous le savez, a été signée par 38 des 43 pays membres du Conseil de l’Europe et ratifiée par 34 d’entre eux.

Parmi les quatre pays signataires n’ayant pas encore ratifié cette Charte, figure en effet la France aux côtés de l’Arménie, de la Belgique et de l’Irlande. J’œuvrerai donc pour que la France la ratifie dans les meilleurs délais.

Assemblée parlementaire à part entière et, de surcroît, Maison des collectivités locales, tels sont les traits caractéristiques de la spécificité du Sénat français qu’il est indispensable de préserver, et même de renforcer, car elle constitue la raison d’être du bicamérisme.

Notre ambition est aussi de faire entendre notre différence, de rendre le Sénat plus « populaire » – au sens noble du terme – et de faire prendre conscience à nos concitoyens que le bicamérisme constitue une chance pour la démocratie.

M. Petr Pithart, Président du Sénat tchèque :

A la dernière réunion, je n’ai pas eu l’occasion de présenter le Sénat tchèque qui est le plus jeune au monde. Je vais le faire donc aujourd’hui. Le Sénat a été établi en République tchèque comme partie intégrante de la division du pouvoir et du système de frein et de contrepoids. C’est un élément du contrôle parlementaire interne de la législation et le gardien de la stabilité institutionnelle. Il n’est pas directement rattaché à l’autonomie territoriale. Néanmoins, il essaie d’être un espace où se chevauche la politique de pointe, les initiatives de la société civile et les connaissances des experts.

Le Sénat tchèque ne représente pas des intérêts particuliers de la société et se range parmi la minorité des chambres hautes du monde. La plupart d’entre elles sont en effet associées, d’une manière ou d’une autre, à la représentation d’intérêts différents de ceux de tous les citoyens. Ce sont notamment les chambres de représentation territoriale, dans la plupart des cas, qu’il s’agisse des fédérations ou d’Etats unitaires décentralisés. Dans les chambres hautes, nous pouvons aussi rencontrer des intérêts professionnels, religieux, ethniques ou linguistiques.

La Constitution tchèque n’a fait don de rien de tel au Sénat tchèque. Bien qu’à sa naissance, en 1992, on ait prévu une base régionale, territoriale, comme l’avait recommandé le Président de la République, Vaclav Havel, le Sénat a été établi en fin de compte sur le modèle de la tradition tchécoslovaque de l’entre-deux guerres, c’est-à-dire le partage horizontal des pouvoirs, utilisé depuis plus de 250 ans. A l’époque, la première République tchécoslovaque ne faisait pas fonctionner ce système bicaméral de façon optimale. Les Chambres du Parlement étaient élues par le même mode de scrutin et au même moment ; la discipline de parti était exceptionnelle et la pratique de prendre des décisions politiques essentielles en dehors du Parlement était fréquente, si bien que le Sénat ne pouvait accomplir ses fonctions de contrôle. Le Parlement bicaméral a disparu peu après l’occupation du pays en 1939 pour réapparaître avec la fédéralisation de la Tchécoslovaquie en 1968.

Pendant vingt-trois ans, l’Assemblée fédérale était composée de deux chambres, la Chambre du Peuple et la Chambre des Nations, mais le principe du bicamérisme a été amputé, tout d’abord, par le monopole du parti communiste tchécoslovaque, puis, plus tard, affaibli par la pratique des réunions communes des deux Chambres. L’Assemblée fédérale était d’ores et déjà menacée par une grande paralysie en raison des différends relatifs à la répartition des pouvoirs entre la Fédération et la République nationale.

Dans les années 1990-1992, l’expérience historique tchèque jette une lumière nouvelle sur les maximes de Charles de Montesquieu et de ses successeurs. Cette expérience est associée, non seulement au système totalitaire, mais aussi à la période qui l’a précédé. Le principe de la séparation et de la pondération des pouvoirs était déjà mis en cause par la concentration des pouvoirs entre les mains d’un groupe relativement faible de leaders de parti durant la première République démocratique de l’entre-deux guerres.

La même situation s’est reproduite dans les années 1945-1948 avec une pluralité limitée. A l’époque, il s’agissait de l’association des quatre partis politiques autorisés dont le parti communiste tchécoslovaque était le plus puissant. Ni le parlement bicaméral, ni la Cour constitutionnelle n’ont alors été renouvelés. L’Espagne a connu la même expérience, c’est à dire la disparition de la Chambre Haute, au moment du régime autoritaire. C’est pourquoi je considère le bicamérisme comme un élément de stabilisation des institutions et du système politique, notamment dans des sociétés post-totalitaires où, pendant un certain temps, existe une grande tentation de revenir au système autoritaire.

Dans tous les pays qui ne connaissent pas de tradition libérale, dans lesquels la société civile n’a pas été développée, il y a ce risque de revenir à une forme de démocratie non-libérale. Certains régimes instaurés avec des élections démocratiques et libres ignorent la limitation du pouvoir, les contraintes fixées à ce pouvoir par la Constitution et le respect des droits et libertés fondamentaux. Dans ce genre de pays, les garde-fous doivent être plus importants que là où la tradition du libéralisme constitutionnel est plus forte.

Le passage vers l’économie de marché et la démocratie parlementaire, qui n’a pas eu de précédent, ne saurait jamais éviter les crises qui favorisent la montée des populistes et des extrémistes de toutes sortes. Les pays post-communistes courent le risque de manquer de stabilité dans une mesure bien plus grande que les pays où les institutions démocratiques fonctionnent déjà bien. Force leur est de protéger cette démocratie ô combien fragile.

Un parlement bicaméral constitue l’une des garanties indispensables, mais seulement à deux conditions : la première, c’est que les deux Chambres de ce Parlement diffèrent l’une de l’autre, non pas parce que quelqu’un le souhaite, mais parce qu’il s’agit d’une conséquence logique de deux modes différents de constitution, sans égard à la personne des élus, députés ou sénateurs. La deuxième condition, c’est que le dialogue entre les Chambres ne constitue pas une simple conversation, mais qu’il entraîne, dans le processus législatif, des conséquences importantes.

Les différences entre les Chambres sont fixées dans notre pays par la Constitution. Les sénateurs sont élus pour six ans, le mandat des députés étant de quatre ans. Le Sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans et ne peut être dissout. Les sénateurs sont élus au scrutin majoritaire à deux tours. La Chambre des députés est renouvelée de façon intégrale, elle peut être dissoute dans certaines conditions et les députés sont élus selon le mode de scrutin proportionnel, sa forme concrète faisant l’objet de négociations actuelles.

La moindre puissance de la Chambre Haute, de concert avec une élection au système majoritaire et un mandat relativement long, conduit à une dépendance plus faible des sénateurs vis-à-vis des partis politiques et diminue ainsi le risque de concentration du pouvoir. Il semblerait donc qu’il n’y a pas de lien entre le Sénat et les régions. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le système politique et social en République tchèque demeure hélas centralisé. Ce n’est que l’année dernière que nous avons lancé une réforme territoriale et ce n’est que cette année que nous avons mis en marche l’échelon supérieur de l’autonomie territoriale, les régions.

Le Sénat dispose d’un organisme spécial qui examine les possibilités de sa propre réforme et, mes collègues et moi-même, ne pensons pas que l’heure est venue d’aborder une régionalisation du Sénat, à l’instar des modèles de l’Europe occidentale.

Je crois que nous pourrions nous inspirer de différents exemples comme la France, l’Italie, les Pays-Bas ou l’Espagne. Nous espérons un lien personnel entre le Sénat et les élus régionaux. Nous apprécions ce que la France a développé depuis 1875, c’est à dire la coopération entre les communes.

Le système électoral majoritaire relie les sénateurs à leur circonscription par une logique de fer. Par leur intérêt légitime à être réélu, ils sont sensibles aux problèmes et aux intérêts de la politique municipale. Le Sénat devient ainsi l’étage supérieur de la politique communale. Or, cette politique communale, quel que soit le pays au monde, est difficilement maîtrisable par un seul parti. La défense des intérêts des hommes et des institutions qui réalisent ce genre de politique devrait appartenir à une Chambre qui a été élue selon le mode de scrutin majoritaire. Mais les tendances du multiculturalisme, qui, dans la théorie politique, sont associées au bicamérisme, engendrent le fait qu’il ne faut pas se lier à un seul type d’intérêt. Il faut au contraire encourager leur diversité.

Des perspectives extrêmement larges s’ouvrent devant nous. Le Sénat a à sa charge les affaires importantes, mais aussi celles qui le sont moins ; il devient aussi une tribune des intérêts de la politique communale, tout en définissant les priorités du pays à long terme. Voilà donc deux domaines différents des activités du Sénat. Ce ne sont pas tous les sénateurs qui s’y retrouvent, mais peu importe. Le style des débats sénatoriaux et de la prise de décision est tranquille, pondéré, les uns prêtent l’oreille aux autres pour porter au mieux la fonction du Sénat en sa qualité de Chambre de réflexion. Le Sénat du Parlement de la République tchèque est une version originale parmi les autres Sénats, institutions plutôt conservatrices. Il essaie de saisir les besoins particuliers de son pays et de son temps. Permettez-moi, Mesdames et Messieurs, qu’en l’an 2003, au printemps très vraisemblablement, la réunion de notre association se tienne dans la ville de Prague. Et je vous accueillerai avec grand plaisir.

Je vous remercie de votre attention.

Mme Françoise Saudan, Présidente du Conseil des Etats de Suisse :

La Constitution fédérale suisse prévoit que le Conseil des Etats se compose de quarante-six députés, c’est à dire deux députés pour les vingt-trois cantons qui constituent la Confédération helvétique.

La population de chaque canton, du plus grand comme du plus petit en population, en surface, en pouvoir économique, élit deux députés. Ce qui nous donne le même paradoxe que vous avez relevé, M. le Président, mais de manière encore plus éclatante, à savoir que le plus petit canton, Appenzell Rhodes-Intérieures, quinze mille habitants, qui forme un canton avec Appenzell Rhodes-Extérieures, élit un sénateur, et que le canton de Zurich, qui est le centre économique du pays, avec un million cent mille habitants, élit deux sénateurs. Si je n’ai pas oublié mes notions d’arithmétique, cela aboutit dans un cas à un sénateur pour quatorze mille habitants et, dans l’autre cas, à un sénateur pour cinq cent cinquante mille habitants.

Les républiques et cantons édictent les règles applicables à l’élection de leurs députés et dans tous les cantons, à l’exception du dernier petit canton de la Confédération, le canton du Jura, dans lequel le système majoritaire est appliqué à l’élection des sénateurs.

L’autre Chambre de l’Assemblée fédérale suisse, le Conseil national, se compose de deux cents députés, élus selon le système proportionnel. Alors, si je reprends mon exemple, Appenzell Rhodes-Intérieures aura un député alors que le canton de Zurich en aura trente-cinq. D’où l’équilibre qui se fait dans notre pays.

Les deux Chambres siègent et délibèrent séparément. Mais, elles ont des attributions et des compétences parfaitement identiques. C’est la spécificité du régime suisse qui a fait dire à notre éminent constitutionaliste qu’est Jean-François Aubert que c’est le bicamérisme parfait. Aucune Chambre n’a en effet de prépondérance sur l’autre. Comment nous mettons-nous d’accord ? Une procédure d’élimination des divergences est naturellement prévue, dont la dernière étape est la Conférence de conciliation qui regroupe à la fois les sénateurs et les conseillers nationaux. A ma connaissance, nous nous sommes toujours mis d’accord à ce stade.

Maintenant, en ce qui concerne la représentation, là aussi, nous avons des différences importantes avec notre grand voisin l’Allemagne, ou avec notre voisin autrichien. Les membres du Conseil des Etats, et cela est garanti par notre Constitution fédérale, votent sans instruction. Aucun canton ne peut imposer un vote dans un sens ou dans un autre. C’est pour cela que la différence est assez importante, en particulier avec certains de nos pays voisins.

Bien entendu, nous entretenons des contacts extrêmement étroits avec les cantons, soit avec les Parlements, soit avec les autorités exécutives. Lorsque notre compagnie nationale Swissair a décidé d’abandonner l’aéroport de Genève Cointrin, tous les députés genevois se sont retrouvés pour défendre les intérêts de notre aéroport. Est-ce qu’on peut dire que les sénateurs accordent plus d’intérêt aux intérêts de leur canton ? Aucune étude n’a pu le démontrer de manière absolue. On a pu constater que, pour certains sujets, il y a une forme d’union sacrée qui fait se retrouver à la fois les conseillers nationaux et les conseillers aux Etats pour défendre les intérêts de leur canton.

Ceci explique l’existence d’une structure, dont je ne sais pas si elle existe dans d’autres pays : la conférence des gouvernements cantonaux. Elle regroupe les autorités exécutives des différents cantons et y sont débattus des sujets d’importance fédérale, mais qui ont aussi des conséquences importantes sur les cantons. Je vais vous donner deux exemples concrets : d’une part, les enjeux de politique sociale ou de formation, d’autre part l’intégration européenne. Ce sont des enjeux fédéraux où les cantons ont ressenti le besoin de se réunir pour pouvoir fixer une position commune. C’est en particulier cette conférence des gouvernements cantonaux qui s’occupe déjà de savoir, dans le cadre du deuxième round des négociations bilatérales, s’il est important pour notre pays et si cela pose des problèmes aux cantons frontaliers, d’intégrer l’espace Schengen ou d’adhérer à la Convention de Dublin.

Naturellement, compte de la structure spécifique de notre pays, un des enjeux essentiels est la péréquation financière intercantonale. C’est un enjeu fondamental pour la cohésion de notre pays, puisque pour certains cantons comme le canton du Jura ou le canton d’Uri, quasiment 80 % du budget ou des grands projets d’infrastructures sont financés par la confédération. Or, cette péréquation financière intercantonale, qui est un instrument essentiel de la cohésion nationale a montré ses limites, parce que des cantons, que ce soit celui de Zurich, de Genève ou de Bâle, deviennent de plus en plus riches et certains autres cantons s’appauvrissent. La nécessité s’est donc faite jour de remettre à plat cette péréquation financière intercantonale, et la conférence des directeurs cantonaux des finances a joué pour cela un rôle essentiel.

La question qui se pose à nous est la suivante : quel sera le rôle du Conseil des Etats à l’avenir ? Dans une Europe des régions en évolution, il est nécessaire de prendre en compte les intérêts du pays et les intérêts de chaque canton. Des initiatives ont été lancées pour faire fusionner deux cantons, le canton de Vaux et de Genève, des réflexions ont également lieu en Suisse allémanique pour créer des entités d’un certain poids. Toute la réflexion est de savoir comment nous allons continuer à défendre les intérêts des cantons dans ces grands équilibres, car on ne peut pas s’en tenir au niveau purement local.

Quelle est la dernière caractéristique du Conseil des Etats ? Je serais peut-être un petit peu prétentieuse en vous disant cela, mais on qualifie dans mon pays le Conseil des Etats de chambre de réflexion. Pourquoi ? Parce qu’avec le système que nous connaissons, nous intervenons souvent après le Conseil national, hormis pour certaines affaires qui concernent directement les cantons où nous sommes prioritaires. Cela nous donne le temps de suivre la manière dont se déroulent les débats dans le Conseil national, de réfléchir à des solutions éventuelles, et d’être en quelque sorte les gardiens de la Constitution. Nous assurons également la qualité de la législation et la stabilité du droit.

Je terminerai mon propos par une citation un peu humoristique de Jefferson, qui disait très joliment : « Le thé est moins chaud quand on le verse dans une deuxième tasse avant la première. »

M. Tone Hrovat, Président du Conseil national de Slovénie :

Le système parlementaire de la République de Slovénie est très jeune. Mais le bicamérisme est inscrit dans la Constitution et nous gardons bon espoir non seulement de le conserver mais aussi de le renforcer. Dans sa partie consacrée aux pouvoirs d'Etat, la Constitution de 1991 définit le Conseil national immédiatement après l'Assemblée nationale. Si l'Assemblée nationale se compose de députés qui représentent l'ensemble de la population nationale, le Conseil national rassemble les représentants des intérêts de la sphère sociale ainsi que les intérêts économiques, professionnels et locaux.

Les attributions constitutionnelles du Conseil national sont l'initiative législative, le droit de donner son avis à l'Assemblée nationale sur toutes les affaires de la compétence de celle-ci, le droit de veto suspensif, c'est-à-dire le droit de demander à l'Assemblée nationale un deuxième examen  des lois avant leur promulgation, le droit de demander la tenue d'un référendum législatif (conformément au deuxième alinéa de l'article 90 de la Constitution) et le droit de demander une enquête parlementaire sur des affaires d'intérêt public (conformément à l'article 93 de la Constitution).

A la demande de l'Assemblée nationale, il doit donner son avis sur une affaire particulière. Les compétences du Conseil national en matière de procédure législative ont été élargies avec la dernière modification du Règlement du Conseil national. Le Conseil national acquiert ainsi le droit d'amender les propositions de lois même lorsqu'il n'est pas à l'initiative de celles-ci.

D'une certaine façon, le dispositif actuel rassemble l'idée d'un conseil national et l'idée d'une deuxième chambre, représentant des intérêts locaux. La majorité des membres du Conseil national, cela ne fait aucun doute, représentent les intérêts des parties du territoire organisées au niveau local, dans le cadre de l'autogestion locale, et défend donc les intérêts locaux. Le Conseil national, dans sa forme actuelle, regroupe cependant une gamme d'intérêts particuliers beaucoup plus large, non seulement les intérêts locaux, mais aussi les intérêts socioprofessionnels. Outre les représentants des intérêts locaux, siègent au Conseil national les représentants des secteurs non économiques, des employeurs, des salariés, des agriculteurs, des artisans et des professions libérales.

Les résultats du travail effectué par le Conseil national prouvent de manière certaine que celui-ci assume pleinement et efficacement sa fonction correctrice par rapport au travail de l'Assemblée nationale. Son expérience contribue à former le socle du développement du système bicaméral et du renforcement de la démocratie.

La position et la structure du Conseil national impliquent un régime électoral différent de celui de l'Assemblée nationale.

En tant que représentants des intérêts particuliers, les conseillers nationaux sont élus au suffrage restreint par les expressions de ces intérêts particuliers, à la différence des députés de l'Assemblée nationale qui sont élus au suffrage universel. En matière de représentation des intérêts locaux, étant donné que ceux-ci s'articulent dans les collectivités locales, ce sont les grands électeurs de chacune des 22 circonscriptions territoriales qui élisent leur conseiller national représentant des intérêts locaux.

Si la loi régissant le Conseil national a posé le principe du suffrage indirect, les dispositions transitoires de l'article 66 prévoyaient une exception  pour les premières élections des représentants des intérêts locaux qui devaient être élus au suffrage direct.

L'exception avait été motivée par le fait que les structures d'autogestion locale existantes n'étaient pas conformes à la nouvelle Constitution, les nouvelles communes et autres collectivités locales n'ayant pas encore été constituées ni, à plus forte raison, leurs différents organes comme porteurs des intérêts locaux.

Pour les élections suivantes, de décembre 1997, qui ont permis d'élire les conseillers de la législature actuelle, le Conseil national avait proposé d'appliquer de nouveau le mode de scrutin de 1992 qui prévoyait l'élection des représentants des intérêts locaux au suffrage universel direct avec scrutin majoritaire. Toutefois, la proposition avait été refusée par l'Assemblée nationale.

L'élection des 22 représentants actuels des intérêts locaux s'est fait au suffrage indirect par les collèges électoraux locaux et l'élection des 18 représentants des intérêts socioprofessionnels au suffrage indirect, comme déjà en 1992, par les collèges socioprofessionnels nationaux.

Les 22 circonscriptions électorales des représentants des intérêts locaux sont formées par le territoire d'une ou de plusieurs collectivités locales.

Les circonscriptions électorales sont déterminées par la loi.

Le régime électoral institué par la  loi de 1992 confère aux partis politiques un rôle qui mérite d'être examiné. Les candidats au mandat de conseiller national au titre de la représentation des intérêts locaux peuvent être proposés par tous les électeurs de la circonscriptions (disposition transitoire prévue pour les premières élections de 1992), par les Conseils des collectivités locales mais aussi par des partis politiques, alors que ceux-ci ne peuvent pas proposer de candidats au mandat de conseiller national pour les quatre autres Groupes de conseillers nationaux qui représentent les intérêts socioprofessionnels.

Au sein du Conseil national, les représentant des intérêts locaux forment le Groupe d’intérêts des intérêts locaux. Les quatre autres Groupes d'intérêts représentent chacun respectivement les intérêts des secteurs non économiques, des employeurs, des salariés, et du groupe des agriculteurs, artisans et professions libérales.

Par leur mode de scrutin, les conseillers représentants des intérêts locaux sont davantage liés à la communauté qui leur a confié leur mandat.

On peut s'étonner que des partis politiques représentés au parlement et, à plus forte raison, les partis de la majorité parlementaire témoignent d'une si faible propension à collaborer de manière constructive avec les représentants des intérêts locaux au Conseil national.

Cette attitude est d'autant plus surprenante que, lors des élections à l'Assemblée nationale, les partis politiques proposent volontiers comme candidats leurs membres qui exercent déjà un mandat de maire.

Il serait plus raisonnable que ceux-ci rejoignent le Conseil national plutôt que d'agir au sein de l'Assemblée nationale comme des représentants des intérêts territoriaux, aux côtés d'autres députés davantage tournés vers l'intérêt général.

La structure du Conseil national garantit aux représentants des intérêts locaux la possibilité de faire valoir des intérêts spécifiques qui ne seraient pas suffisamment perçus par l'Assemblée nationale ou par le gouvernement, tant dans le domaine législatif que dans l'orientation des politiques spécifiques. L'action du Conseil National est menée à travers de nombreuses initiatives, avis et questions de ses conseillers.

Au sein du Conseil national, les représentants des intérêts locaux constituent un des cinq Groupes d'intérêts. Le Groupe élit un chef qui organise et dirige le travail de son Groupe, convoque les réunions et les préside. Les experts du service technique du Conseil national sont à la disposition des Groupes. Les Groupes formulent leurs postions par rapport aux sujets inscrits à l'ordre du jour du Conseil national et de ses commissions. Les membres des Groupes prennent part aux travaux des commissions permanentes et des commissions ad hoc du Conseil national. Il est de règle que le Groupe d’intérêts des intérêts locaux délègue au moins un de ses membres dans chacune des commissions.

L'appartenance à un des Groupes d'intérêt met à l’arrière plan l'appartenance politique des conseillers, ce qui apporte au débat politique une fraîcheur inaccoutumée. Avec ses 22 conseillers sur les 40 que compte le Conseil national, le Groupe d’intérêts des intérêts locaux est le mieux représenté. Il se garde cependant de la tentation d'imposer ses vues par la mécanique du vote majoritaire ou par l'effet du nombre. Les intérêts qu'il représente se réalisent à travers le dialogue et l'harmonisation avec les Groupes socioprofessionnels du Conseil national.

Les représentants des intérêts locaux défendent au mieux les intérêts des communes qu'ils représentent. Ils encouragent la coopération intercommunale et l'association des communes de leur circonscription. Ils entretiennent des relations directes avec leurs électeurs, c'est-à-dire avec les maires et les conseillers municipaux. Ils restent à l'écoute des autres citoyens par le truchement d'un système de permanences tenues dans différentes communes de leur circonscription. Les locaux et une aide d'expert sont mis à leur disposition par les communes. Cette forme de coopération constitue l’occasion de se sensibiliser aux besoins et aux opinions des citoyens. Les conseillers disposent ainsi d'informations de première main et se trouvent mieux  à même de présenter ces intérêts dans les commissions du Conseil national et dans leur propre Groupe d’intérêts. Certains conseillers organisent dans leur circonscription des rencontres ou débats en vue de communiquer sur des initiatives législatives ou en vue d'une formulation appropriée de celles à venir.

Les conseillers nationaux représentants des intérêts locaux sont perçus par les collectivités locales comme des intermédiaires pour faire prévaloir leurs positions ou réaliser leurs propositions, particulièrement lorsque celles-ci nécessitent la collaboration avec d'autres institutions de l'Etat.

Aux conseillers nationaux est échu le rôle d'informer et de convaincre les différentes instances de l'Etat de manière à ce qu'elles prennent des décisions qui conviennent aux communes. C'est un exercice délicat mais bien confirmé à travers le travail quotidien des différentes structures du Conseil national. Au cours des réunions des comités et commissions du Conseil national il est possible d’établir des contacts plus aisés avec des structures analogues de l'Assemblée nationale, avec le gouvernement et avec les ministères.

Il me semble que Conseil national slovène est un instrument efficace pour mener à bien ses objectifs. Il reste ouvert tant aux initiatives de ses propres conseillers qu’aux initiatives des personnes extérieures intéressées, des collectivités locales et des institutions de la société civile.

Conscient de l’importance des organisations non gouvernementales, le Conseil national collabore avec plus de cinquante organisations non gouvernementales présentes en Slovénie et leur apporte son aide, particulièrement en les invitant à participer à l’organisation de colloques. Rassembler les intérêts différents à travers la coopération et l’harmonisation demeure un des rôles importants du Conseil national.

M. Nicolae Vacaroiu, Président du Sénat roumain :

Il y a onze ans, dans un contexte de profonds changements, malheureusement violents, du passage d’un régime totalitaire à un régime réellement démocratique, la Roumanie a commencé la reconstruction des institutions d’un Etat de droit dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs. C’était une reconstruction nécessaire. En ce moment, le Sénat de Roumanie regroupe 140 sénateurs élus de façon directe. Les mandats sont répartis en fonction de la population, le rapport sénateur/électeurs étant de 140 000. Les candidats se présentent soit sur les listes des partis, soit en tant qu’indépendant.

A première vue, il y a une représentation proportionnelle des différentes régions dans le Sénat de la Roumanie. Mais les choses sont différentes en raison du grand nombre des partis qui participent aux élections (entre 40 et 160 partis), et du nombre important de candidats, si bien que dans le Sénat, en dernière instance, on ne retrouve que cinq ou six formations politiques. Il apparaît ainsi qu’un grand nombre de mandats sont répartis sur la base d’une liste. Il en résulte une anomalie de proportion : dans certaines régions, un sénateur est élu avec 2 000 voix au lieu de 140 000. Il existe donc un déficit de représentation des collectivités locales en Roumanie et c’est la même chose pour la Chambre des députés.

Prochainement, une commission mixte de parlementaires et de représentants de la société civile va réviser certains points de la Constitution de la Roumanie, parmi lesquels se trouvent des références au rôle du Parlement.

Dans la Constitution d’aujourd’hui, le Sénat et la Chambre des Députés ont pratiquement la même activité dans le rôle de législateur. La question se pose aujourd’hui de faire une séparation entre les attributions du Sénat et celles de la Chambre des Députés.

Initialement, plusieurs raisons expliquent une formulation identique pour les attributions des deux Chambres. D’abord, il fallait repartir de zéro pour créer un parlement qui soit adapté. A première vue, le passage par une seule chambre n’était pas suffisant, parce qu’il fallait exercer un double contrôle. Je ne vous cache pas qu’il y a eu un deuxième argument, une sorte de prudence supplémentaire générée par ces années passées sous le régime du totalitarisme, c’est-à-dire un contrôle de la décision. Plusieurs yeux à regarder, plusieurs cerveaux à contrôler pour éviter les possibilités de produire une rupture dans la continuité des réformes.

C’est pourquoi la réunion d’aujourd’hui présente un intérêt tout particulier pour la Roumanie. Nous sommes très intéressés par votre expérience et votre réflexion, par celle des autres Sénats d’Europe pour qu’en dernière instance, lorsque nous interviendrons dans le remaniement de la Constitution, nous prenions une meilleure décision.

Le Sénat a par ailleurs créé des bureaux sénatoriaux délocalisés et fonctionnel, avec un secrétariat, des assistants qui permettent d’avoir un contact permanent avec les collectivités locales. Pendant les deux jours qu’il passe obligatoirement dans sa circonscription, le sénateur a une relation directe avec ce bureau. Il peut montrer à la collectivité locale des projets qui sont en cours au Sénat, écouter ses solutions, ses idées. Ayant le droit d’initiative législative, le sénateur peut ainsi apporter des amendements qui peuvent être acceptés directement par les commissions qui rédigent les rapports. Si son amendement est rejeté par la Commission, il peut aussi le présenter devant le Sénat.

C’est donc une expérience utile. Nous avons cependant des situations où nos collègues parlementaires passent très rarement dans leur circonscription territoriale. C’est pourquoi il y a eu beaucoup de mécontentement dans certaines régions. Je ne vous cache pas que nous étions inquiets à un moment donné par l’appréciation que portait la population sur le Sénat. La même chose se passait pour la Chambre des Députés et en ma qualité de nouveau président du Sénat, j’ai pris des mesures : depuis le mois de janvier, j’ai revu l’organisation du fonctionnement du Sénat. La principale modification a consisté d’abord à affecter des sénateurs dans les commissions spécialisées, là où la loi est élaborée, analysée, là où l’on prend les décisions finales qui mènent la loi devant le vote du Sénat. La procédure a été simplifiée. Nous avons donné la possibilité de déposer les amendements lors de la séance plénière. Et de cette façon, l’activité de législateur a été accélérée plus de vingt fois par rapport à ce qui se passait auparavant. Nous avons adopté vingt fois plus de lois que lors de la législature passée, sans bien sûr en diminuer la qualité.

Il y a certes eu des critiques au début, mais il est nécessaire de bien prendre en considération que la Roumanie doit adopter, dans une période extrêmement courte, environ 12 000 lois, soit environ 2 500 par an. Vous imaginez que nous ne pouvons pas adopter une législation stable pendant une période aussi courte, comme dans les pays membres de l’Union européenne.

Les débats en séance plénière se sont donc trouvés réduits, se sont déplacés vers les commissions spécialisées et tout le monde apprécie cette initiative. Le deuxième problème, qui nous a conduit à une situation sans précédent, a été la marginalisation du Sénat et de la Chambre des députés dans le processus législatif, au travers de ces dispositions de la Constitution qui donnaient le droit à l’exécutif de prendre des ordonnances d’urgence dans certaines situations.

Pendant les quatre dernières années, il y a plus de 1 000 ordonnances simples, initiées par le gouvernement, ce qui a fait que le Sénat et la Chambre des députés sont devenus une sorte d’annexe de l’exécutif. Dans le domaine de la législation, il y a eu un phénomène d’instabilité qui a été perçu par les investisseurs, en particulier étrangers. Le phénomène de la corruption a augmenté, si bien que nous envisageons de bloquer ces procédés qui permettent au gouvernement de prendre des actes normatifs ayant force de loi.

Nous souhaitons que le Sénat soit le médiateur réel des collectivités locales : dans cette perspective, les attributions du Sénat doivent être différentes à quelques exceptions près de celles de la Chambre des Députés : il doit être le représentant direct des collectivités locales. Le Sénat doit également porter son attention sur l’activité de contrôle de l’exécutif et enfin sur l’accroissement de son rôle dans le domaine de la politique étrangère. Dans le domaine législatif, il doit axer ses activités sur les lois fondamentales, les lois organiques.

Cette réflexion est en phase de proposition. Une décision doit être prise par la commission formée par les parlementaires et par la société civile.

Mme Alicja Grzeskowiak, Présidente du Sénat polonais :

Le Sénat en Pologne n’a pas de lien organique institutionnel avec les collectivités territoriales. Il est tout simplement la seconde chambre législative. Le Sénat n’a également aucune compétence particulière par rapport aux collectivités territoriales.

Ce lien ne concerne pas non plus le mode d’élection des sénateurs, élus au suffrage universel direct. Une place au Sénat correspond environ à 370 000 habitants. Par le passé, il y avait en Pologne des projets pour remplacer le Sénat par une chambre qui représenterait les collectivités territoriales. Donc pendant les travaux sur la Constitution actuellement en vigueur, il y avait l’idée de constituer la chambre des collectivités locales, mais celle-ci ne fut pas soutenue par la majorité. Personnellement, j’étais opposée à cette transformation du Sénat en chambre des collectivités territoriales, car en fait ces propositions étaient limitées au changement du mode d’élection des sénateurs et à la restriction des compétences législatives.

Le manque de lien formel entre le Sénat et les collectivités territoriales ne signifie pas pour autant le manque de lien entre les pouvoirs publics. Le Sénat du premier mandat, à savoir celui qui a été convoqué en 1989, lors des premières élections démocratiques en Pologne, a voté une résolution sur le rétablissement des collectivités territoriales en Pologne, et il a également initié les travaux législatifs allant dans ce sens.

Le Sénat a également convoqué la commission des collectivités territoriales qui, de concert avec la commission constitutionnelle que j’ai présidée à l’époque, coordonnait les travaux du Sénat sur la réforme des collectivités.

Je me souviens du jour où justement en tant que présidente de la commission constitutionnelle du Sénat en 1990, j’ai présenté l’initiative du Sénat pour procéder aux amendements à la Constitution qui rendraient possible le rétablissement et l’activité des collectivités locales.

A l’époque, j’ai souligné le fait que le Sénat voyait dans les collectivités locales l’expression de tendances démocratiques. La nature et la portée des problèmes transmis aux collectivités territoriales constituaient d’ailleurs la mesure de la subjectivité politique des citoyens et de la liberté politique au sein de l’État.

A l’issue de cette initiative législative du Sénat, on adopta les lois qui rétablissaient les collectivités territoriales au niveau de la commune. L’introduction des niveaux supérieurs de collectivités locales suscitait encore à l’époque des réserves. On voulait par ailleurs encore acquérir davantage d’expérience sur le fonctionnement de ces collectivités territoriales qui pendant si longtemps n’existaient pas en Pologne.

Ainsi, c’est donc le Sénat, en tant que première chambre du Parlement, élue démocratiquement, qui amena à l’instauration de la démocratie locale. Dans environ 2 500 communes polonaises, les élections locales de 1990 furent par conséquent les deuxièmes élections libres en Pologne.

L’achèvement de la réforme, entamée par le Sénat de la première législature, n’a eu lieu que durant l’actuel quatrième mandat du Parlement. Nous avons introduit les niveaux supérieurs des collectivités territoriales au niveau de la voivodie et au niveau du pawiat. Les projets de réforme furent présentés par le gouvernement, mais la Diète et le Sénat jouèrent un rôle prépondérant dans la formation du contenu de la nouvelle législation sur les collectivités territoriales.

Le Sénat, en tant qu’inspirateur du rétablissement des collectivités territoriales en Pologne, s’intéresse toujours de façon toute particulière à leur développement. C’est principalement la commission des collectivités territoriales et de l’administration d’État qui s’en occupe.

Pour terminer, il importe de dire qu’à l’issue des réformes des collectivités territoriales, initiées par le Sénat, beaucoup de sénateurs ont commencé à soutenir les initiatives locales de ces collectivités. Certains se sont même présentés aux élections locales et furent élus dans leurs organes dirigeants. Cependant, la nouvelle loi électorale à la Diète et au Sénat, votée cette année, interdit le double mandat : parlementaire et local. En effet, l’expérience a prouvé qu’il est nécessaire de procéder à une séparation plus forte entre les collectivités territoriales et le pouvoir législatif, conformément au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.

Cependant, cela ne signifie pas que les sénateurs aient rompu tous les liens avec les collectivités territoriales. La loi en vigueur sur l’exercice du mandat de député et de sénateur accorde aux sénateurs le droit de participer aux sessions des organes constituant les collectivités territoriales qui font partie de la circonscription qui les a élus. Le sénateur a aussi le droit de présenter ses motions et ses remarques, et d’intervenir auprès des organes de l’administration des collectivités territoriales pour régler la question qu’il présente en son nom propre ou au nom de ses électeurs.

Je pense que le Sénat de la Pologne, en exerçant ses droits dans le domaine de la législation, continuera toujours à exprimer l’intérêt qu’il porte à la problématique des collectivités territoriales.

M. Frédéric Korthals Altes, Président de la Première Chambre des États généraux des Pays-Bas :

De 1579 à 1796, les sept provinces du Nord des Pays-Bas, constituaient une république fédérale, la République des provinces unies. Ces provinces étaient formées par les anciens comtés, un évêché, un duché datant de l’époque féodale. Dans les provinces, le pouvoir souverain était exercé par les Etats de cette province.

A La Haye siégeaient à l’époque les Etats généraux, représentation des sept provinces. A l’origine donc, les Etats généraux des Pays-Bas formaient une représentation pure de collectivités provinciales. D’ailleurs, les Etats généraux étaient dominés par la très puissante province de Hollande, celle qui se situe le plus à l’Ouest des sept provinces. Les membres des Etats généraux étaient des représentants de la province et n’avaient pas de liberté de manœuvre.

Ils étaient très liés par leur mandat, si bien que les Etats généraux, qui avaient été si puissants au xviie siècle, brillaient au xviiie siècle par leur manque de décision. Il y avait beaucoup d’immobilisme sur le plan de la politique étrangère, puisque les décisions portant sur la guerre et la paix étaient censées être prises à l’unanimité. Donc il n’est pas étonnant que les historiens néerlandais essaient d’avertir l’Europe de l’immobilisme qui menace si l’on veut absolument s’en tenir à l’unanimité au Conseil des ministres.

La prise de décision était toujours retardée car les membres des Etats généraux devaient consulter les Etats de leur province. En 1796, naît une nouvelle république, la république batave. Celle-ci connaissait un gouvernement central et une assemblée nationale élue directement. Le pouvoir des provinces était ainsi éliminé. Après la conquête de la France, et l’intégration dans l’empire, les Pays-Bas devinrent, de 1815 à 1830, un royaume avec la Belgique. L’assemblée nationale reprenait en 1814 son ancien nom d’Etats généraux et était à nouveau choisie par les provinces.

Ce n’est qu’en ajoutant les Pays-Bas du Nord et la Belgique en 1815 qu’est institué le bicamérisme. Le Sénat que l’on appelle la Première Chambre des Etats généraux est née grâce à la demande très poussée des Belges, je leur en suis d’ailleurs toujours reconnaissant. A l’origine, il y avait la première chambre, dont les membres étaient nommés par le Roi, appelée la « ménagerie du Roi ».

En 1848, la nouvelle Constitution démocratique prévoit que le Sénat sera à nouveau élu par les Etats des provinces. Le Sénat poursuit ainsi la tradition des anciens Etats généraux de la République des Provinces unies. La Constitution prévoit cependant que tous les membres sont responsables de leur propre décision et interdit toute instruction. De ce côté là, la situation ressemble à celle qui a été décrite par la présidente du Sénat de la Confédération helvétique.

Pendant longtemps, le lien entre les Etats des provinces, douze à l’heure actuelle, et le Sénat était très fort. Les Etats provinciaux ne sont pas uniquement composés des soixante-quinze membres du Sénat mais s’y trouvent aussi ceux qui sont responsables de la présentation des listes de candidats. D’ailleurs, c’est quelque chose d’extrêmement compliqué sur le plan des calculs. Depuis 1818, on tient compte également de la représentation proportionnelle : les provinces choisissent des membres du Sénat tout en tenant compte de facteurs de proportion avec la population. Il y a donc une représentation proportionnelle au Sénat. Pendant longtemps d’ailleurs, les partis politiques n’avaient pas beaucoup d’influence sur la composition des listes de candidats.

Mais aujourd’hui, pratiquement tous les partis politiques participent à la constitution de ces listes de candidats. Les membres des Etats provinciaux doivent ensuite soumettre les listes de candidats de manière beaucoup plus formelle, en tenant compte des décisions de leur parti. Nous sommes donc passés d’une liberté provinciale à une décision par les partis. En 1966, nous avions fait une première tentative pour exercer une influence sur cette nomination. La première réunion n’avait pas duré plus de cinq minutes, car les membres des Etats provinciaux étaient venus à la réunion mais refusaient de s’exprimer tant que la direction du parti était présente. Ils avaient le droit constitutionnel de présenter des candidats et souhaitaient exercer ce droit. Mais aujourd’hui, donc, ce sont les partis qui établissent les listes et ce sont les Etats provinciaux qui ensuite présentent ces listes de candidats. Nous connaissons maintenant partout ce type de structure. Mais un parti doit tenir compte de la répartition régionale des candidats.

Avec des possibilités préférentielles, les Etats peuvent toujours choisir des membres autres que ceux mentionnés sur la liste. Il y a donc possibilité de corriger le tir lorsque un parti politique ne tient pas suffisamment compte de cette répartition régionale tant souhaitée. A l’heure actuelle, deux sénateurs siègent au Sénat en dérogeant à l’ordre de la liste. Les sociaux-démocrates de la province de Gueldre ont repris le droit en main et ont corrigé le fait que leur parti ne tenait pas suffisamment compte des intérêts de la province de Gueldre.

Depuis 1995, nous avons également un sénateur sans parti, choisi par les provinces. Pour ce qui est de l’aspect législatif, les différences régionales ne jouent pas un grand rôle au Sénat. Les intérêts de l’agriculture ou des PME sont les mêmes quelle que soit la région représentée. L’origine régionale des sénateurs ne s’exprime que lors de l’examen de propositions visant à revoir la structure communale. Là il y a également la question de savoir si le sénateur provient d’une grande ville ou d’une banlieue.

Entre les provinces des xvie, xviie et xviiie siècles et la structure décentralisée des xixe et xxe siècles, l’organisation politique a laissé peu de place à l’influence forte des collectivités locales, même si les provinces peuvent corriger le tir en proposant des candidats. La valeur ajoutée du Sénat des Pays-Bas n’est pas tant dans la représentation des collectivités locales, mais dans le fait que ses membres ont un horizon social ou une expérience différente des membres du Parlement. Ces derniers sont des hommes politiques professionnels qui n’ont pas forcément une grande expérience sociale. Ils sont beaucoup plus actifs dans le domaine politique, alors que les sénateurs sont des personnes qui ont déjà une longue carrière dans le domaine de la science, de l’entreprise et qui veulent encore vivre au sein de la société. Il s’agit souvent de professeurs, d’universitaires, d’anciens maires, d’anciens chefs d’entreprises, d’anciens ministres, ou d’anciens membres du parlement. Donc, toute une kyrielle d’expériences. Par exemple, nous avons trois anciens ministres de la justice, deux anciens ministres des affaires étrangères, un ancien ministre de la santé, un ancien ministre de la défense. Les sénateurs ne font pas souvent usage du droit de veto ; ils accordent beaucoup plus d’importance à la valeur du débat.

Voilà donc ce que je voulais vous dire au cours de cette première réunion de l’Association des Sénats d’Europe. En ce qui me concerne ce sera ma dernière réunion, étant donné qu’au mois d’octobre, je passerai le relais à un représentant d’un autre parti (chrétien-démocrate). Mais il vient également d’une autre province et il représente également une autre collectivité locale.

M. Alfredo Prada Presa, Premier Vice-président du Sénat espagnol :

En tout premier lieu, je souhaite transmettre les excuses de Mme la Présidente du Sénat espagnol, Mme Aguirra, qui malheureusement n’a pu se rendre à Paris aujourd’hui et n’a pu participer avec vous à cette réunion, comme elle aurait souhaité le faire.

La vie politique et constitutionnelle des pays que nous représentons présente bien des paradoxes et aucun paradoxe n’est aussi fort que celui que représente le bicamérisme. S’il est vrai que les critiques contre les secondes chambres sont assez nombreuses depuis un certain temps, un simple coup d’œil à cette salle permet de constater que quasiment la totalité des pays qui nous entourent se sont dotés, soit il y a fort longtemps, soit au titre de réformes constitutionnelles plus récentes, d’un système bicaméral.

Face à la longue liste de raisons que l’on peut faire valoir contre cette seconde chambre, on parvient à la conclusion que, généralement, le choix de cette solution est lié à la réalité sous-jacente de la société dans laquelle elle est présente. A cet égard, je rappellerai les termes de Bagehot, un penseur et politicien anglais du xixe siècle, qui disait, au sujet de la Grande-Bretagne, « il est évident que nous n’aurions pas besoin d’une chambre haute, si nous avions une chambre basse parfaite », représentant comme il se doit la Nation, c’est-à-dire de manière toujours modérée, et jamais avec passion, et, si en aucun cas elle ne faisait fi des procédures parfois détaillées et très lentes qui sont nécessaires pour que l’on puisse analyser comme il se doit les problèmes.

En Espagne, il faut le rappeler, nous avons un rôle important, en particulier en raison de la fonction de représentation territoriale de notre seconde chambre. Une partie de notre Sénat est élue, avec un nombre égal de sénateurs pour chaque circonscription, quelle que soit la population. Une autre partie est constituée de sénateurs, désignés par les parlements autonomes. Et puis, il y a les villes de Ceuta et Melilla qui élisent deux sénateurs. Il y a un sénateur par communauté autonome en Espagne, plus un sénateur par million d’habitants.

Sur les 259 sénateurs que compte notre Sénat, 208 sont élus par les provinces et les autres sont désignés par les parlements autonomes. Le caractère de représentation territoriale du Sénat espagnol se manifeste également dans ses fonctions.

Il y a également une participation différente entre le Sénat et le Congrès des députés aux différents dossiers politiques, en particulier pour toutes les compétences inter-territoriales, par exemple la conclusion d’accord entre les différentes entités autonomes. Il y a également une intervention spécifique au titre du budget, prévue par la Constitution. C’est un point important lorsque les communautés autonomes prennent des décisions qui vont à l’encontre de l’intérêt général des Espagnols et que celles-ci requièrent l’intervention du Gouvernement.

L’autorisation du Sénat est prévue en amont de l’intervention du Gouvernement. N’oublions pas non plus que les gouvernements autonomes doivent participer aux débats de la Commission générale des communautés autonomes. Et, dans le règlement, il est également prévu un certain nombre de choses qui montrent nettement ce caractère territorial. Il existe par exemple des groupes territoriaux au sein des groupes parlementaires qui sont constitués de sénateurs provenant d’une même communauté et représentant le même groupe parlementaire.

De plus en plus en Espagne, les institutions politiques souhaitent renforcer le pouvoir du Sénat en tant qu’entité de représentation territoriale. En 1994, a été créée la commission générale des communautés autonomes qui a des compétences particulières dans le domaine de la gestion des entités autonomes.

L’emploi des langues officielles est autorisé dans le cadre de cette commission ; la présence des représentants des gouvernements autonomes au sein de cette commission est également prévue, ainsi que celle des conseillers gouvernementaux de ces pouvoirs locaux et des présidents des autonomies locales.

Après les dernières élections en mars 2000, la réforme éventuelle du Sénat est redevenue d’actualité. La Chambre a ainsi adopté, le 16 mai 2000, une motion relative à une réforme du Sénat, en particulier en vue de renforcer ses activités en tant qu’expression de la pluralité espagnole. La recherche du plus large consensus est le principe directeur de cette réforme.

Un dialogue a été entamé entre les différents présidents des communautés autonomes et les porte-parole des groupes parlementaires respectifs. La répercussion de différents phénomènes, tels que les formules qui permettraient de renforcer l’utilisation de langues qui – au même titre que l’espagnol – sont des langues officielles dans certaines communautés autonomes, doivent être analysées. On a également convenu de mettre en place un observatoire autonome, une sorte de bureau d’analyse de toutes les questions territoriales qui se concentrerait plus précisément sur les aspects économiques.

Et enfin, on se propose d’entamer un processus de réflexion sur la participation des présidents des communautés autonomes au sein de la Chambre, pas sous la forme actuelle, dans le cadre de la Commission générale des Communautés autonomes, mais bien au cœur même, et de plein droit dans les débats du Sénat.

Les provinces et les municipalités existent depuis un certain temps en Espagne et nous avons voulu renforcer les garanties constitutionnelles de ces différentes entités. Le Sénat, réuni en séance plénière le 11 octobre 2000, a approuvé une réforme du règlement qui prévoit la création d’une commission permanente non législative, la commission des entités locales. C’est une commission qui souhaite renforcer le rôle des municipalités et des provinces, un rôle qui est pleinement reconnu dans notre Constitution qui garantit leur autonomie. Il s’agit d’un nouvel instrument qui doit permettre d’offrir un lieu de débat, qui doit recueillir les aspirations et entendre les problèmes que connaît l’administration locale. Il s’agit également d’offrir de nouvelles opportunités à l’administration autonome au sein de la Chambre.

Bien que nous ayons toute une série de propositions qui sont étudiées et qui visent à la création d’un Sénat, véritable Chambre de représentation des Communautés, il ne faut pas oublier pour autant que le Sénat a une nature de Chambre parlementaire. Il fait partie des « Cortes » de notre Parlement espagnol et a, à ce titre, une fonction législative et de contrôle de la politique du Gouvernement, prévue par la Constitution. La configuration du Sénat espagnol et ces tentatives de réforme nous permettent de constater que la fonction de représentation des communautés autonomes qui est très importante dans les secondes chambres, surtout lorsqu’on est en présence d’un Etat fédéral, pourrait tout à fait se constituer autour des secondes chambres des Etats unitaires.

Et je crois qu’à ce moment-là, elles peuvent servir de trait d’union entre les pouvoirs locaux et le Parlement national sans pour autant renoncer à leur fonction de chambre de seconde lecture. Cette fonction, bien que critiquée, nous semble encore aujourd’hui essentielle pour garantir le bon fonctionnement d’un Etat démocratique. Et puis pour reprendre ce que disait John Steward Mill, qui était un défenseur infatigable des secondes chambres : « Une majorité dans une Chambre unique, une fois qu’elle a un caractère permanent, peut assez facilement se transformer en despote arrogant, à moins qu’elle ne sente bien sûr que ses actes puissent être mis en concurrence par une autre instance constituée ». Et Lord Wice rappelait que « l’avantage de diviser le pouvoir législatif en deux instances, c’est que l’une des instances peut agir en tant qu’organe de réflexion et de correction des erreurs éventuelles de l’autre Chambre».

M. Gerd Klamt, Président du Bundesrat d’Autriche :

L’Autriche est un Etat fédéral composé de neuf Länder autonomes. Ce qui est essentiel pour un Etat fédéral, c’est que les compétences soient délimitées de façon très claire entre les Länder et le niveau fédéral, une répartition qui doit être garantie par la Constitution afin d’éviter que les compétences ne puissent être modifiées de façon unilatérale.

Les Länder autrichiens sont dotés d’organes à pouvoir législatif autonome, les parlements des Länder. Ils ont également des gouvernements indépendants qui peuvent même signer des traités d’Etat avec des régions ou des Etats riverains. Pour garantir la représentativité des Länder, le Bundesrat dispose d’un droit de veto absolu, dont il peut user lorsque le Parlement national prend des décisions qui vont à l’encontre des intérêts des Länder. Pour ce faire, il suffit de disposer d’un tiers des voix du Bundesrat. Par ailleurs, tous les projets de loi élaborés par l’Assemblée nationale doivent être présentés au Bundesrat. Le Bundesrat peut faire valoir un droit de veto suspensif et la même chose vaut pour les traités d’Etat. Mais les intérêts des Länder sont également garantis par deux autres mécanismes au niveau du Bundesrat, à savoir qu’un tiers des sénateurs peut contester une loi fédérale auprès de la Cour constitutionnelle et qu’il suffit d’un tiers des sénateurs pour exiger qu’une modification de la Constitution fasse l’objet d’un referendum.

La Constitution autrichienne date de 1920. C’est en 1920 également qu’a été créé le Bundesrat et, depuis cette époque, nous avons cet équilibre de pouvoirs entre les Länder et le niveau fédéral. Les socio-démocrates étaient davantage en faveur d’un modèle fédéral. Les membres du Bundesrat sont élus par les Parlements des Länder, le nombre des sénateurs dépend du nombre d’habitants d’un Land, le nombre allant de trois à douze. La présidence du Bundesrat est assurée à tour de rôle ; tous les six mois, c’est un autre Land qui assure cette présidence. Mon mandat arrive à terme à la fin de ce mois, je le savais dès le début et je dois dire que c’est un grand honneur pour moi d’avoir pu assurer la présidence de ce Bundesrat pendant six mois et je conçois et admet tout à fait que chaque Land ait le droit à tour de rôle d’assumer cette présidence. C’est au Parlement du Land de décider qui doit être délégué au Bundesrat, mais la proposition doit être soumise par un groupe politique et la personne doit être éligible au Parlement du Land. Les sénateurs ont la possibilité de prendre la parole au sein du Parlement du Land. Les ministres présidents des Länder ont la possibilité de faire valoir leurs intérêts au niveau du Bundesrat et de défendre les intérêts de leur Land, lorsque ceux-ci sont concernés. Les Länder, et notamment les gouvernements et les parlements des Länder, se voient remettre tous les documents concernant le processus législatif, à commencer par les projets de loi élaborés par la première Chambre du Parlement autrichien, en passant par le résultat des délibérations et jusqu’aux décisions qui auront été prises par celui-ci.

En même temps, les Länder sont invités à se prononcer, à faire valoir les motifs qui peuvent les inciter à utiliser leur droit de veto suspensif ou à utiliser leur droit de veto absolu. Mais en Autriche, nous avons encore un troisième niveau administratif. Il s’agit des collectivités locales et notamment les communes. Il s’agit là d’entités autonomes de l’administration au niveau local. Les maires et le Conseil municipal exercent cette administration de façon indépendante et autonome. Ils sont réunis dans le cadre de l’Union des communes d’Autriche et de l’association des villes autrichiennes. Ces communes ne sont pas représentées de façon directe par la deuxième Chambre, mais jouissent du même droit d’information que les Länder et sont invités, au même titre qu’eux, à se prononcer sur des projets de loi qui leur sont soumis. Mais les communes en Autriche font partie des Länder, et le mandat du Bundesrat est de représenter les Länder au niveau fédéral.

Il existe en Autriche actuellement une discussion assez virulente concernant le Bundesrat, car les Länder ont parfois l’impression que le Bundesrat se laisse davantage guider par les intérêts du niveau fédéral et du parti central que par les intérêts des Länder. Et c’est ainsi qu’un certain nombre de propositions de réformes ont été élaborées ; entre autres, il fut proposé que l’on procède à l’élection des sénateurs au suffrage universel direct. Il fut également proposé que les sénateurs devaient à l’avenir respecter entièrement les décisions prises par les parlements des Länder. A ce jour, les membres du Bundesrat sont complètement libres dans l’exercice de leur mandat. D’autres propositions suggèrent également que les ministres présidents et les membres des gouvernements des Länder représentent les Länder au niveau du Bundesrat. Mais je dois dire que toutes ces suggestions seraient tout à fait possibles au titre de la Constitution autrichienne. Les Länder peuvent parfaitement se faire représenter par leur ministre président ou par les membres de leur Parlement au niveau du Bundesrat, la seule condition étant qu’ils soient éligibles au niveau du Land. Mais l’exercice des droits au sein du Bundesrat est une question éminemment politique. La Constitution autrichienne permet tout à fait une représentation efficace des Länder au niveau du Bundesrat. Il existe en Autriche une identification très profonde de la population avec son Land. Les citoyens se sentent réellement citoyens de leur Land. Ceci s’explique par le fait que les Länder existent, dans la très grande majorité des cas, depuis plus longtemps que l’Autriche elle-même. C’est une tradition qui remonte au Moyen Age et après la deuxième guerre mondiale, les Länder ont contribué de façon décisive au rétablissement de l’Etat autrichien.

M. Gernot Mittler, Président de la Commission pour les Affaires européennes du Bundesrat d’Allemagne, ministre d’Etat :

L’Allemagne est un pays éminemment décentralisé. Nous avons seize Länder et ils ont créé le Bund, la Fédération. Nous avions donc d’abord les Länder, puis le Bund. Et c’est cet ordre chronologique qui détermine notre organisation et il existe une délimitation très claire des compétences, ce qui est essentiel pour une structure fédérale. Les Länder sont par exemple compétents dans les domaines de la culture et de l’éducation. Leurs compétences sont entérinées dans la Constitution. Pour ce qui est des problèmes de l’agriculture, de l’écologie, les Länder sont également particulièrement responsables, alors que le Bund est responsable de la politique étrangère, de la politique de sécurité, de la politique fiscale…

Il existe une délimitation très claire des compétences entre les Länder et le niveau fédéral. Mais à côté de cette délimitation des compétences, les Länder ont également la tâche de collaborer à la législation qui est élaborée au niveau fédéral, ceci par l’intermédiaire du Bundesrat. A la différence de l’Autriche, les Länder allemands délèguent des membres auprès du Bundesrat ; ce ne sont pas des représentants des parlements des Länder, mais des membres des gouvernements des Länder. Chaque gouvernement dispose d’un certain nombre de voix. Le plus grand Land de l’Allemagne, la Rhénanie du Nord - Westphalie, avec 18 millions d’habitants, dispose de six voix et le plus petit Land, le Land de Brême avec 500 000 habitants, dispose de trois voix. La proportionnalité n’est donc pas entièrement respectée, bien au contraire. Il existe un principe essentiel qui nous guide et qui régit le rapport de force et la tension permanente qui peut exister entre des organes si divers : le droit élaboré au niveau du Bund est prioritaire par rapport au droit élaboré au niveau des Länder. Le deuxième principe est le suivant : les Länder se doivent d’être fidèles au Bund et c’est précisément à ce niveau là que se joue le rapport de force et que l’on peut trouver des solutions à des tensions existantes.

Il peut bien sûr exister des majorités politiques différentes au Bundestag et au Bundesrat, c’est le cas actuellement. Se pose donc la question de savoir comment, dans un tel cas, le processus législatif peut être assuré. Nous avons la commission d’intermédiation qui est composée de façon paritaire entre un nombre égal de représentants du Bundestag et de représentants du Bundesrat. Cette commission a pour mission d’essayer de trouver des solutions aux conflits existants, en soumettant elle-même une proposition au Bundestag et au Bundesrat.

Pour ce qui est des communes et de leurs structures juridiques, ce sont les Länder qui sont responsables, comme pour la dotation des moyens financiers. Je tiens à préciser que, depuis 1992, nous avons, au niveau de notre loi fondamentale, une disposition qui veut que pour les questions de l’Union européenne les Länder peuvent, par le biais du Bundesrat, avoir le droit à la parole. Les Länder sont ainsi co-décisionnaires.

A côté de cette présentation des structures juridiques, je voudrais dire que l’Allemagne est un pays décentralisé et c’est ce qui permet aussi de nous retrouver en Europe, car l’Europe se doit d’être une Europe des régions, en particulier si elle veut être vraiment acceptée par nos concitoyens. Le principe de subsidiarité doit être le principe porteur de l’Europe d’aujourd’hui et de demain, et ceci non seulement au niveau des Constitutions, mais aussi au niveau de la pratique quotidienne.

Nous avons entendu aujourd’hui qu’il existe un nombre important de modèles, qu’il existe des aménagements très différents selon les pays. Nous avons autant de configurations que nous avons de pays. Et je pense que la question qui se pose à nous au sein de cette association est la suivante : est-ce que nous réussirons réellement à rendre fertile, à rendre porteur cette diversité de configuration de l’Europe, afin que l’Europe reste proche de ses citoyens pour éviter que Bruxelles ne devienne un conglomérat d’anonymes ?

Ce sera la tâche qui va nous incomber et j’irai même au-delà. Nous venons de pays très différents, nous avons des traditions étatiques juridiques très différentes et les différents projets qui ont été élaborés concernant la Constitution européenne en témoignent. Le Chancelier Gerhard Schröder, le Premier ministre français Lionel Jospin ont leur point de vue à ce propos et je crois que ce sera réellement la question pertinente qu’il va falloir trancher à l’avenir. Je me demande si au cours d’une prochaine réunion nous ne devrions pas nous pencher également sur ce problème.

Comment pouvons-nous au niveau des Sénats apporter notre contribution afin que nous puissions trouver ici une solution commune en ce qui concerne l’avenir de l’Europe ? Comment pouvons-nous de façon efficace et pertinente aller de l’avant ? C’est une remarque que je voudrais ajouter aux explications que j’ai données quant à l’architecture juridique de mon pays.

M. Armand De Decker, Président du Sénat belge :

Les travaux que nous avons eus aujourd’hui montrent combien cet échange d’expériences entre nos différents Sénats est d’une grande importance et pourra être porteur de collaborations plus intenses qui doivent évidemment mener à ce que le Président du Bundesrat allemand vient de dire, c’est-à-dire à une réflexion sur l’avenir de l’Europe et sur le rôle notamment que les Sénats peuvent y jouer, voire l’apport que le cas échéant, le moment venu, un bicaméralisme européen pourrait avoir.

Je constate que de nombreuses personnalités politiques, par exemple, le Président Jacques Chirac, MM. Joschka Fischer, Gerhard Schröder, Tony Blair ou Guy Verhofstadt, ont fait allusion à l’instauration, à un certain moment, d’un bicaméralisme européen. A ce moment-là, se posera évidemment la question de savoir quelle forme ce bicaméralisme devra prendre. Sera-ce un bicaméralisme axé sur le modèle germanique, c’est-à-dire où des représentants des gouvernements des Etats membres de l’Union siégeraient dans ce Sénat européen, ou un bicaméralisme à la française, à l’italienne, à l’espagnole ou à la belge, avec des parlementaires.

Mais je voudrais, à ce stade, apporter la modeste expérience de la Belgique par rapport à la question du rôle des Sénats et de la représentation des collectivités locales.

Dans la genèse de la démocratie locale et de l’Etat de droit, les collectivités locales ont longtemps joué un rôle de tout premier plan. Les libertés fondamentales, la participation à l’administration, l’interdiction de l’arbitraire judiciaire sont autant de piliers de notre conception du droit qui se sont développées dans les villes d’Europe au cours du Moyen-Age.

Dans la conception moderne de l’Etat, les collectivités locales ont un rôle clé à jouer. Cet intérêt durable pour l’administration locale reçoit actuellement une nouvelle bouffée d’oxygène grâce à l’impact croissant du principe de subsidiarité, mais aussi grâce aux tentatives de comblement du fossé qui sépare le citoyen de la politique. En effet, la subsidiarité est une expression récente mais peut-être aussi un principe vieux comme le monde. La subsidiarité veut que l’échelon le plus bas n’abandonne à l’échelon supérieur que ce qui est strictement nécessaire. Et a contrario que la compétence de la collectivité supérieure s’étende aux fonctions qu’elle peut remplir de manière plus efficace que les communautés de base. S’y ajoutent les rôles sociaux des collectivités locales. A une époque où l’on évoque sans cesse le fossé qui sépare les structures officielles des citoyens, les collectivités locales sont les leviers appropriés pour rapprocher le monde politique et la société civile.

En Belgique, ces pensées sont venues se greffer sur un processus de fédéralisation déjà amorcé dans les années soixante. L’ordre institutionnel belge qui ne comprenait jadis que l’Etat, les provinces et les communes a été enrichi de nouvelles collectivités décentralisées, à savoir les communautés et les régions disposant de très larges autonomies. Il s’ensuit que la Belgique, bien que de taille modeste, héberge actuellement un Etat, trois régions, trois communautés, dix provinces et près de six cents communes.

La Belgique est marquée par une structure étatique que les auteurs qualifient d’hybride, composite, certains disent baroque, mais de laquelle ils nous disent aussi qu’elle est à l’image d’un pays se trouvant dans la zone frontalière des cultures romane et germanique.

La transformation de l’Etat belge en un Etat fédéral a entraîné une profonde redistribution des attributions du Parlement. Depuis sa création, la Belgique a connu un système bicaméral. La Chambre des représentants et le Sénat se trouvent sur un pied d’égalité. Mais lors de la réforme de l’Etat de 1993, ce système a été remanié de façon radicale. Les deux lignes directrices de cette réforme sont, d’une part, la transformation du Sénat en une Chambre de réflexion pour la procédure législative et, d’autre part, la représentation des entités fédérées dans ce même Sénat. Parmi les 71 sénateurs actuels, 21 sont des sénateurs dits de communautés. Ils sont élus par les trois assemblées des communautés en leur sein. Dix sénateurs sont élus par le conseil de la communauté francophone, dix autres par le Conseil de la Communauté flamande et un seul par le conseil par la petite communauté germanophone qui compte 70.000 habitants.

Le Sénat assurait la représentation des collectivités locales supérieures déjà bien avant la fédéralisation de la Belgique. Jusqu’en 1995, plus d’un quart des sénateurs était désigné par les conseils provinciaux. En substituant les sénateurs de communautés aux sénateurs provinciaux, la réforme du Sénat consacre en quelque sorte l’épanouissement des communautés en tant que nouvelles collectivités politiques.

Puisque les membres des conseils de communautés sont toujours membres des conseils de région aussi, toutes les entités fédérées se voient représentées au Sénat par le biais des 21 sénateurs de communautés. Ils permettent aux communautés et aux régions de faire entendre leur voix au sein du Sénat, par exemple lors de la révision de la Constitution ou des lois fédérales concernant le statut des entités fédérées. Les sénateurs de communautés peuvent aussi débattre avec leurs collègues fédéraux qui sont élus directement à l’échelon fédéral, et même avec le Gouvernement fédéral. Le Sénat en tire son appellation de lieu de rencontre des communautés belges.

De par sa composition, le Sénat est aussi le lieu par excellence pour la discussion des matières qui transcendent la répartition rigide des compétences entre les différentes collectivités politiques. Tel est par exemple le cas des problèmes touchant à la mobilité, qui relèvent tant de la compétence des régions que de celles des communautés et de l’Etat. Il en va de même pour d’autres phénomènes complexes comme la pauvreté ou la société de l’information.

Le Sénat assure également l’association des entités fédérées à l’exercice de quelques compétences fédérales. La justice, par exemple, relève évidemment toujours du seul niveau fédéral. Cela n’empêche pas que les cours et tribunaux doivent appliquer aussi les normes des entités fédérées. Le constituant en a tiré argument pour confier au Sénat la responsabilité de nommer les membres du Conseil supérieur de la justice qui, à son tour, est appelé à présenter les candidats à une nomination dans la magistrature.

En outre, le Sénat est simultanément investi de la mission exclusive d’émettre des avis dans le cadre des conflits d’intérêts intervenant entre les assemblées législatives, qu’elles soient fédérales, communautaires ou régionales. Le Sénat s’en trouve érigé en gardien de la loyauté fédérale, voire en pacificateur. En effet, toute composante de l’Etat fédéral est tenue au respect de la loyauté fédérale dans l’exercice de sa compétence. Et il appartient alors au Sénat de veiller à ce que les grandes conventions qui règlent la Belgique soient exécutées de bonne foi.

En conclusion, le Sénat de Belgique reflète à la fois la complexe sociologie du pays et son inspiration à chercher un juste équilibre entre la solidarité et la subsidiarité. Dans un Etat où les collectivités locales ont atteint un haut degré d’autonomie, il importe de prôner la cohabitation harmonieuse des cultures, ainsi qu’une meilleure compréhension des différences. Le Sénat est la traduction institutionnelle de cette volonté de concilier respect de la diversité et recherche d’unité, mais n’est-ce pas là le défi de tout Etat pluraliste, c’est-à-dire d’un Etat plus attentif à promouvoir la concorde qu’à légitimer les exclusions ?

En conséquence, le Sénat belge a profondément évolué. Entre un Sénat qui était composé de sénateurs élus directement, de sénateurs envoyés par les neuf provinces, et de sénateurs cooptés, il est aujourd’hui composé de sénateurs élus directement et de sénateurs issus des assemblées régionales et communautaires. Il y a donc eu une adaptation de la structure du Sénat à la structure nouvelle et fédérale de la Belgique.

Cette expérience est éminemment intéressante. Elle est parfois complexe et fonctionne relativement bien malgré la diversité de nos systèmes institutionnels, de nos histoires et de nos traditions. On voit que ces deuxièmes chambres, dans l’expression de leur représentation locale, arrivent à répondre à chaque fois d’une manière très adaptée à la réalité sociologique de chacun d’entre nous et essaient par cette voie de trouver des équilibres. Je constate en tout cas que le système belge, qui est sans aucun doute complexe, est l’objet de beaucoup d’intérêt de plusieurs régions du monde où des problèmes de communauté existent. Les institutions de la région de Bruxelles, une des trois régions belges, qui a la particularité d’être une région capitale du pays, à 85 % francophone d’un pays à plus de 60 % flamand, est un autre exemple des difficultés que peuvent connaître nos institutions. Pour résoudre cette équation, nous avons inventé une structure régionale avec un parlement régional qui lui-même, comme une poupée russe, se divise en assemblées communautaires francophone et flamande, ou bicommunautaires pour certaines matières. Dès lors, il est évident qu’à de nombreuses reprises, par exemple les Israéliens et les Palestiniens sont venus voir comment nous avions trouvé une solution au caractère bicommunautaire d’une capitale qui doit, de surcroît, être le siège des principales institutions politiques de l’Europe et faire preuve d’une tolérance spontanée et naturelle. Et nous y sommes arrivés, mais peut-être parce que nous appartenons à un vieux peuple, et un vieux peuple qui, dans ses villes, a probablement inventé la démocratie moderne il y a de nombreux siècles. Cela fait de nombreux siècles que nous avons trouvé la voie pour régler pacifiquement et politiquement nos problèmes. Et je crois que c’est là la particularité et l’expérience que nous pouvons apporter à la réflexion.

Chers collègues, avant de conclure, je voudrais peut-être vous redire un mot de notre prochaine réunion, puisque vous avez eu la gentillesse de charger le Sénat belge de l’abriter. Je pense qu’à ce stade, il est peut-être bon de commencer par des sujets qui font la base du bicaméralisme. M. Poncelet a eu la bonne idée de nous faire parler aujourd’hui de la représentation des collectivités locales dans nos Sénats. Je crois que l’autre pilier du bicaméralisme, c’est notre rôle dans le cadre des secondes lectures et de la qualité de la législation. C’est là la spécificité fondamentale des Sénats, et donc je vous propose qu’à notre réunion de Bruxelles, qui se tiendra le mardi 13 novembre prochain, nous discutions de nos expériences sur le rôle des Sénats en matière de qualité de la législation. Nos amis italiens nous faisaient part de leur souhait de voir des documents s’échanger entre nous avant la réunion ce qui nous permettrait de gagner du temps dans nos échanges et dans nos discussions contradictoires. Chacune des délégations pourrait donc peut-être faire une brève note sur la manière dont le Sénat ou la Haute assemblée de son pays aborde cet aspect qualitatif par rapport à la législation.

Par ailleurs, dans le cadre de la présidence belge de l’Union européenne, le Parlement belge, Chambre des représentants et Sénat, organise les 2 et 3 juillet prochains une conférence sur le contrôle parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense, à laquelle nous avons invité les présidents des assemblées, Chambres et Sénats des pays membres, les présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense des pays membres, mais aussi, le deuxième jour, des pays candidats à l’Union pour avoir un débat et une réflexion commune sur la manière dont un contrôle démocratique pourra s’exercer dans le domaine de la sécurité et de la défense européenne. Le Parlement européen voit ses compétences en la matière limitées à l’information et il serait par ailleurs dommage que les seuls parlements nationaux, dans une démarche strictement nationale, contrôlent cette politique. Lors de cette conférence, les 2 et 3 juillet, nous débattrons de cette question et je l’espère, nous pourrons peut-être arriver à un consensus entre les participants, qui permettrait de faire du résultat de cette conférence un élément de la déclaration de Laeken à la fin de la présidence belge.

M. Marc Besch, Secrétaire général du Conseil d’Etat du Luxembourg :

Le Conseil d’Etat n’est pas vraiment un Sénat ; le Luxembourg ne connaît pas en effet l’institution du Sénat malgré le fait que, de 1830 à 1839, nous faisions partie de la Belgique qui ne connaissait peut-être pas encore le problème d’aujourd’hui et qu’à cette époque-là nos institutions comprenaient un Sénat. Au Luxembourg, il y a un problème du fait que le territoire est très petit. Comme chacun le sait, nous comptons 430 000 habitants, et le constituant a toujours estimé qu’un Sénat autant qu’une représentativité territoriale ne se justifieraient pas. Ce qui ne veut pas dire qu’au niveau de la Chambre des députés, il n’y ait pas une représentativité territoriale, dans la mesure où notamment les élections se font par circonscription électorale. Cependant, les députés, une fois élus, doivent représenter les intérêts généraux du pays, et non les intérêts particuliers de leurs électeurs ou de leur région.

Le Conseil d’Etat, qui fait fonction de deuxième Chambre dans la mesure où il a un droit de veto suspensif de trois mois maximum pour toute loi, aurait pu constituer un forum représentant des collectivités territoriales, mais tel n’est pas le cas. Les membres du Conseil d’Etat sont en effet nommés par le Grand Duc, ils ne sont pas élus. S’il y a lieu de remplacer une vacance, la première nomination se fait directement par le Grand Duc, ensuite il y a une nomination d’un des trois candidats présentés par la chambre des députés, et ensuite s’il y a encore un poste à pourvoir c’est par nomination d’un de trois candidats présentés par le Conseil d’Etat et ensuite à nouveau une nomination directe par le Grand Duc. En pratique, la composition du Conseil d’Etat tient compte dans une certaine mesure de la représentation des partis politiques au sein du Parlement, et surtout de la diversité des qualifications et expériences des conseillers, donc un peu à l’instar du Sénat des Pays-Bas. Ainsi le Conseil d’Etat compte parmi ses membres, à côté d’un certain nombre de hauts fonctionnaires et de magistrats, des personnalités issues du secteur public, sans toutefois représenter aucun ordre professionnel comme le Conseil national de Slovénie, ni un territoire. Ce qui n’empêche pas un membre du Conseil d’Etat d’être maire ou membre d’un Conseil communal, tout comme le député à la chambre des députés peut cumuler ces deux mandats, mais en fait le conseiller d’Etat doit exercer sa fonction en toute impartialité, étant donné qu’il s’agit plutôt d’un travail de nature juridique. Mais, étant donné que le Conseil d’Etat luxembourgeois n’est pas élu, il n’y a pas non plus de représentativité territoriale à ce niveau.

Permettez-moi de conclure en vous exprimant mon étonnement. Je suis toujours parti du modèle français ou belge, où les Sénats ont une certaine représentativité territoriale, mais je constate que tel n’est pas toujours le cas. Comme le Président du Bundesrat allemand l’a très bien dit, il y a une diversité dans la composition des Sénats qui me rappelle un peu aussi la diversité de la composition des Conseils d’Etat.

En vue de la prochaine réunion de notre association, j’approuve tout à fait l’idée de traiter un sujet tel que la confection de bons textes de loi. Je voudrais à cet égard faire une suggestion : serait-il possible d’élaborer un petit questionnaire afin de donner des réponses précises et de faire une étude comparée entre les différents systèmes qui sont, somme toute, assez différents et donc intéressants ?

M. Armand de Decker, Président du Sénat belge :

Je pense que la suggestion du représentant du Conseil d’Etat luxembourgeois est tout à fait pertinente. Je crois que ce serait bien d’avoir une note de départ sur les différents systèmes existant dans les différentes assemblées, et en l’écoutant, je me disais que nous pourrions peut-être aussi, à cette réunion de Bruxelles, inviter un représentant de chaque Conseil d’Etat, par exemple dans les pays qui ont une organisation de cette nature. Il est vrai qu’une fois qu’on se met à réfléchir à la qualité de la législation, les rôles des deux assemblées et du Conseil d’Etat sont très imbriqués et ce serait peut-être intéressant pour eux qu’ils puissent assister à nos débats.

M. Carlo Guelfi, Vice-secrétaire général du Sénat italien :

Le nouveau président du Sénat italien, qui a été élu il y a quelques jours, a présidé ce matin la séance du Sénat qui a élu le nouveau bureau de la présidence. Le Sénat italien est maintenant prêt à commencer son activité avec quatre nouveaux vice-présidents et il m’a chargé de le représenter comme un sénateur. Je ne dois rien faire de plus qu’informer le nouveau président des débats qui ont eu lieu. Ils ont été très intéressants, surtout pour un pays comme l’Italie qui, comme vous le savez, doit maintenant discuter de la question du fédéralisme. Une loi a tout récemment modifié la Constitution et elle va être soumise dans quelques mois à un référendum.

De toute façon, la question du fédéralisme est une question actuelle en Italie, et naturellement, elle est étroitement liée au rôle du Sénat, et à la modification des institutions. Mais je dois me limiter à cette indication tout à fait générale. Je dois aussi vous confirmer l’intérêt du Sénat italien pour cette initiative du Sénat français, et remercier naturellement le Président Poncelet et tous les présidents des Sénats présents. Lors de la prochaine réunion à Bruxelles, nous aurons la possibilité de continuer cette expérience très intéressante, en particulier au travers de la proposition du Président du Sénat de Belgique.

 

II. Débat général

 

M. Armand De Decker, Président du Sénat belge :

Comme M. Poncelet parlait tout à l’heure du bicaméralisme européen, et que nous avons tous eu les discours de MM. Jacques Chirac, Joschka Fischer, Gerhard Schröder, des uns et des autres chefs d’Etat et de gouvernement, peut-être pourrions-nous consacrer quelques minutes à réagir à cela, ou librement échanger des points de vue.

M. Tone Hrovat, Président du Conseil national de Slovénie :

Après notre rencontre en Belgique, la suivante aura lieu en Slovénie. Nous aborderons le sujet de la démocratie dans les pays en transition et le système bicaméral. La proposition du collègue belge me paraît particulièrement intéressante d’autant plus pour les pays qui ont une tradition démocratique plus jeune. Ce serait un message sur le bicaméralisme. Il me paraît très important d’envoyer un message aux gouvernements, aux parlements et aux partis politiques, pour qu’ils puissent réfléchir à l’élaboration de la démocratie à travers le système bicaméral.

Mme Françoise Saudan, Présidente du Conseil des Etats de Suisse :

Nous suivons très attentivement les débats sur le devenir de l’Europe. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de nous en entretenir avec vous il n’y a pas très longtemps. Je me souviens du premier débat que j’ai lu dans la presse, entre MM. Joschka Fischer et Jean-Pierre Chevènement et je dois dire que j’ai eu de la peine à en isoler ce que j’appellerai les éléments fondamentaux. Je trouve très intéressant d’avoir ce débat ici. Il est très important de rapprocher l’Europe des Européens. C’est ce que veut en particulier faire la Charte des droits fondamentaux. Nous avons en Suisse deux instruments qui sont d’une efficacité remarquable mais qui sont très paralysants : le référendum et l’initiative. Je ne les recommande pas au plan européen parce que je crois que, si c’est le meilleur moyen dans le fond de faire du souverain l’arbitre, c’est aussi un moyen terriblement paralysant.

M. Alfredo Prada Presa, Premier Vice-président du Sénat espagnol :

A l’heure actuelle, l’Union européenne est en pleine évolution, nous sommes en nouvelle construction de ce fameux modèle européen, avec de nouveaux défis, avec l’arrivée de nouveaux pays. De toute évidence, c’est une réalité dont il faut tenir compte dans la configuration future de l’Union européenne qui va être modifiée dans les années à venir. Il est vrai par ailleurs que nous avons un certain nombre d’instances telle que l’Assemblée du Conseil de l’Europe, le Comité des régions, ou encore le Parlement européen pourquoi pas, autant d’instances en attente d’une conception définitive, qui attendent d’avoir davantage de compétences qu’elles n’en ont au jour d’aujourd’hui. Alors, à chaque fois qu’on a une question importante, il est évident que l’élément positif est d’accroître la représentation des parlements.

Augmenter le contrôle des instances du gouvernement de l’Union européenne pourrait être une chose souhaitable. Mais la question est de savoir si un Sénat a une raison d’être ou pas. La classe politique elle-même se demande s’il ne devrait pas y avoir une instance parlementaire supplémentaire au plan européen. Est-ce que cela ne risquerait pas de créer une certaine incompréhension des citoyens et des critiques nourries des médias ? Mais pour autant, je crois que c’est un débat qui doit encore mûrir, il requiert que l’on débatte profondément de toutes ces questions, et je pense que notre Association des Sénats d’Europe est amenée à avoir un avenir extrêmement prometteur. Nous aurons bien sûr de nouvelles réunions, de nouveaux thèmes que nous aborderons, et je crois que cette association peut être un axe qui va nous permettre de mûrir notre réflexion au sein de nos différents pays par rapport justement à l’évolution de ce bicamérisme dans ce nouveau contexte européen.

M. Frédéric Korthals Altes, Président de la Première Chambre des Etats Généraux des Pays-Bas :

Tout cela me semble extrêmement intéressant et notamment ce que vient de dire mon collègue du Sénat de Belgique. Je dois dire que dans la plupart de nos pays, c’est le gouvernement et le parlement qui sont des représentations directes où se discutent ces affaires.

Je dirai qu’il va falloir commencer par décider si nous pensons à un modèle correspondant à un modèle germanique, autrichien, allemand, ou pensons-nous plutôt à un modèle sud-européen, où la représentation vient de certains groupes de la population, ce qui bien entendu fait une énorme différence. Lorsque nous débattrons de ces questions, il faudra adopter la plus grande prudence, car lorsqu’il s’agit de discuter de deuxième chambre en Europe, il ne faut pas que ce soit au détriment de l’influence croissante du Parlement européen tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le Parlement européen n’a toujours pas, à mon sens, les compétences et les possibilités que l’on peut attendre d’un parlement dans une démocratie ayant atteint une certaine maturité. Il faut donc veiller à ce que la discussion portant sur une telle deuxième chambre n’aille pas au détriment du Parlement européen. Il faudra d’abord veiller à ce que nous ayons une véritable représentation populaire européenne. Cette possibilité serait une représentation des gouvernements des Etats membres, conformément au modèle germanique certes, mais je répète qu’il est un peu trop tôt pour en discuter. Il est tout de même utile et c’est la raison pour laquelle je me félicite de l’initiative du Sénat français.

M. Xavier de Villepin, Président de la commission des Affaires étrangères du Sénat français :

Comme il vous l’a dit tout à l’heure, le Président Poncelet, qui est appelé par un rendez-vous impératif chez le Président de la République, m’a demandé de prendre sa place afin de conclure avec vous nos travaux.

Au cours de cette intéressante journée de discussion, chacun des membres de l’Association a pu présenter le système en vigueur dans son pays et le rôle de la chambre à laquelle il appartient dans la représentation des collectivités locales. Nous avons ainsi, tout au long des interventions, pu prendre connaissance et nous inspirer des éléments de similitude comme des points de différence entre nous. Cette comparaison nous permet aussi, et ce n’est pas son moindre avantage, de mieux nous connaître. J’y vois également un des objectifs de notre Association.

Je me félicite que celle-ci soit aujourd’hui entrée dans sa phase véritablement opérationnelle et me réjouis de la perspective des prochaines réunions organisées par les Présidents des Sénats de Belgique, de Slovénie et d’Espagne.

Le Sénat français passe donc au Président De Decker le flambeau de l’Association, certain qu’il saura faire prospérer le projet que vous avez lancé ensemble.

En vous renouvelant donc mon sentiment de satisfaction d’avoir participé à vos travaux, je vous remercie vivement pour votre active participation à la réunion de ce jour et vous souhaite bon retour dans vos capitales.